Pages

samedi 18 août 2012

Dérivés halogénés


Cours de chimie Organique -



Dérivés halogénés et substrats apparentés

Introduction
Nomenclature
Les dérivés halogénés des alcanes ou halogénures d'alkyles sont des composés qui dérivent formellement des hydrocarbures par remplacement d'un atome d'hydrogène par un atome d'halogène.
I
II
III
1-Bromobutane
2-Bromobutane
2-Méthyl-2-bromopropane
Notons qu'il y a deux molécules de bromo-2-butane énantiomères.
Il existe des dérivés halogénés en série alicyclique ainsi que des composés dans lesquels l'halogène est relié à un groupe vinyle ou allyle.
I
II
III
Bromocyclohexane
2-Bromoéthène
3-bromopropène
Certains aspects de la réactivité des dérivés halogénés aromatiques sont étudiés dans le chapitre relatif aux composés aromatiques. Ne sont signalées ici que les réactions de couplage catalysées par les métaux de transition comme le palladium.
Les dérivés halogénés sont des agents cancérogènes du fait de leur caractère alkylant. Les dérivés méthylés sont particulièrement toxiques et ne doivent être manipulés qu'avec beaucoup de précautions. Classe
Selon que l'atome de carbone portant l'halogène est lié à 1, 2, 3 atomes de carbone, le dérivé est qualifié de primaire, secondaire, tertiaire.
Dérivé halogéné
Bromo-1-butane
Bromo-2-butane
2-Méthyl-2-bromopropane
Classe
I
II
III
Les dérivés sulfonylés d'alcanes : mésylates, tosylates, triflates, remplaçent souvent les dérivés halogénés, en tant que substrats, dans de nombreuses réactions de substitutions nucléophiles. Ces composés sont quelquefois appelés pseudo-halogénés (pseudohalides en anglais).
Etat naturel

Pourpre
Pourpre
Le pourpre qui ornait le bas de la toge romaine est un composé bromé extrait du murex, un coquillage abondant en Méditérannée. Ce colorant d'origine naturelle est connu depuis très longtemps puisque des textes en mentionnent l'existence en 1600 avant J.-C. La première synthèse de ce composé a été réalisée par Sachs et Kempf en 1903. On trouvera des informations intéressantes sur ce composé à la référence [20].
La thyroxine est une hormone présente dans la glande thyroïde.
Propriétés physiques
Caractéristiques physiques et énergétiques

Elément
C
F
Cl
Br
I
Electronégativité (Pauling)
2,55
3,98
3,16
2,96
2,66
Températures de changement d’état
Le tableau suivant regroupe les températures de changement d'état des halogénures de méthyle.
On constate une augmentation du moment dipolaire lorsqu'on passe du dérivé iodé au dérivé fluoré. Cet accroissement est à mettre en relation avec l'augmentation de l'électronégativité de l'halogène. Cependant il faut faire attention que le moment dipolaire fait intervenir la longueur de liaison qui varie aussi.
Composé
CH3-H
CH3-F
CH3-Cl
CH3-Br
CH3-I
TE (°C)
-164
-78
-24
3
42
Longueur C-X (pm)
101
135
177
194
214
Do (kJ.mol-1)
435
485
327
285
213
Moment dipolaire m (D)
0
1,92
2,05
2,01
1,87
L'élévation de la température d'ébullition quand on passe des dérivés fluorés aux dérivés iodés n'est pas seulement due à la variation du moment dipolaire mais aussi à l'augmentation de la polarisabilité des liaisons qui impliquent des atomes de plus en plus volumineux. Il y a donc augmentation des forces d'interaction de type :
  • dipôle permanent dipôle induit ;
  • dipôle instantané dipôle induit.
Spectroscopie
Spectroscopie infrarouge

Spectroscopie de résonance magnétique nucléaire
Dans les composés suivants, on observe une augmentation du
déplacement chimique avec l'accroissement de l'électronégativité de l'halogène. Ce phénomène est général. Plus l'halogène est l'électronégatif plus la densité électronique autour du noyau d'hydrogène est faible. L'intensité du champ nécessaire pour atteindre la résonance diminue. Il en résulte un accroissement du déplacement chimique.
Composé
CH3I
CH3Br
CH3Cl
CH3F
Déplacement chimique d (ppm)
2,3
2,7
3,4
4,5
Les spectres suivants illustrent la facilité avec laquelle on peut distinguer deux isomères de position par simple comparaison de leurs spectres de RMN grâce aux déplacements chimiques différents des groupes de protons et aux couplages entre-eux.
Substitutions nucléophiles
Définitions
Nous allons étudier des réactions de substitution c'est à dire des réactions au cours desquelles on observe la rupture d'une liaison et la reformation simultanée ou non d'une autre liaison.
Dans le cas qui nous occupe ici, le
substrat est un halogénure d'alkyle. Le réactif est un nucléophile (étymologiquement : qui a une affinité pour les noyaux ; c'est à dire les zones déficientes en électrons). Ce terme se réfère à l'aptitude que possède une base de Lewis à céder son doublet. On peut résumer cela de façon formelle formelle par l'équation ci-dessous.
Puisque le substrat est un dérivé halogéné, la particule expulsée est un ion halogénure. Il s'agit du nucléofuge. On utilise aussi le terme groupe partant, traduction de l'anglais : leaving group.
Les réactions de substitutions nucléophiles sont notées SN selon la terminologie d'Ingold. Il existe une assez grande variété de mécanismes permettant de rendre compte des réactions de substitution nucléophile et l'on observe une certaine continuité entre-eux. Cependant nous allons voir qu'on peut dégager deux mécanismes limites pour ces réactions :
  • la rupture de la liaison C-X et la formation de la liaison C-Nu ont lieu de façon concomitante (on dit aussi parfois de façon concertée, de l'anglais : concerted) ;
  • la rupture de la liaison C-X précède la formation de la liaison C-Nu.
Notons qu'un mécanisme particulier de substitution nucléophile dans lequel la formation de la première liaison précède la rupture de la seconde, se rencontre chez certains dérivés du silicium (mécanisme SN2-Si). Cet atome est en effet capable de stabiliser une charge négative excédentaire grâce à la présence d'orbitales d. Un exemple de ce type est donné par le clivage des éthers de silyle par les ions fluorure.
Remarque : les dérivés halogénés aromatiques ou vinyliques n'ont pas du tout la même réactivité que les halogénures d'alkyle dans les réactions de substitutions nucléophiles. Ils ne réagissent pas dans les conditions ordinaires. Ils donnent lieu à des réactions de couplage catalysées par des métaux de transition comme le palladium.
Substitutions nucléophiles bimoléculaires
Résultats expérimentaux, inversion de Walden
La réaction entre les ions iodure et (2S)-2-bromopropane, fournit le (2R)-2-iodopropane . La réaction s'accompagne d'une inversion de la configuration relative du
centre chiral appelée inversion de Walden.
Si maintenant on effectue la réaction à partir du (2R)-2-bromopropane comme substrat, on obtient le (2S)-2-iodopropane c'est à dire l'énantiomère du composé obtenu dans la première réaction. La réaction de substitution nucléophile bimoléculaire est énantiospécifique.
Dans les réactions précédentes le substrat et le produits n'étaient pas stéréoisomères. Mais lorsque le nucléophile et le nucléofuge sont les mêmes, le produit obtenu est l'énantiomère du substrat. L'évolution stéréochimique de la transformation suivante peut être faite grâce à l'utilisation d'ions iodure radioactifs.
L'inversion de configuration d'un centre chiral au cours d'une substitution bimoléculaire porte le nom d'inversion de Walden du nom du chimiste allemand P. Walden qui l'a découverte en 1896 au cours d'une étude restée célèbre sur les énantiomères de l'acide malique.
L'inversion de Walden peut naturellement avoir lieu sans modification de la configuration absolue. On trouvera un exemple de ce type dans le chapitre consacré aux règles de Cahn, Ingold, Prelog.
Mécanisme et cinétique
Le mécanisme admis est un choc bimoléculaire entre le nucléophile et le substrat. Il s'agit d'une réaction élémentaire.

Par définition de la vitesse de la réaction.
Pour une réaction élémentaire, l'ordre partiel par rapport à chacun des réactifs est égal au nombre stœchiométrique correspondant. La loi de vitesse s'écrit donc.
La molécularité est égale à deux. En l'absence de dégénérescence, cela se traduit expérimentalement par un ordre global égal à deux.
Puisque la transformation s'effectue en une seule étape élémentaire, le profil énergétique comporte un seul état de transition qui traduit la rupture partielle de la liaison entre l'atome de carbone et le nucléofuge et la formation partielle concomitante de la liaison entre l'atome de carbone et le nucléophile.
Le profil d'enthalpie libre de référence a l'allure suivante.
La relation d'Eyring montre que la constante de vitesse est d'autant plus grande que l'enthalpie libre d'activation de référence est plus petite. La réaction implique le recouvrement entre la plus haute orbitale occupée du nucléophile et la plus basse orbitale vacante du substrat.
BINAP
Interprétation orbitalaire de l'inversion de Walden. Dans l'approximation des orbitales frontières, l'interaction principale a lieu entre la plus haute orbitale occupée du nucléophile (HO) et la plus basse orbitale vacante du substrat (BV) qui est l'orbitale antiliante de la liaison C-X.
  • Dans l'approche dorsale, l'interaction la HO du nucléophile et le petit lobe de la BV du substrat ;
  • Dans l'approche frontale, l'interaction principale a lieu entre les gros lobes de la HO du nucléophile et de la BV du substrat mais il y a également une interaction antiliante défavorable qui n'apparaît pas dans l'attaque dorsale.
.
En série cyclohexanique, l'attaque dorsale d'un dérivé substitué en position 4 du tertiobutylcyclohexane se traduit par la formation exclusive du diastéréoisomère de stéréochimie cis.
Nature du nucléophile
Cet aspect est étudié dans un
chapitre particulier consacré aux bases de Lewis.
Nature du nucléofuge

Liaison
C-C
C-F
C-Cl
C-Br
C-I
Vitesse relative
-
10-4
2,0´10-2
1,0
3,0
Do (kJ.mol-1)
-
485
340
285
213
Polarisabilité 1030´a (m-3)
0,5
0,7
2,5
3,6
5,6
Nucléofugacité
-
1
2,0´102
104
3,0´104
La vitesse de la réaction augmente considérablement lorsqu'on passe du fluor à l'iode. Ce résultat est à mettre en relation avec l'accroissement de la polarisabilité de la liaison carbone-halogène. Une application intéressante de ces résultats est la réaction d'échange d'halogène (réaction de Finkelstein).
Effets stériques
Commençons par examiner l'influence de l'encombrement de l'atome de carbone en a de l'halogène (solvant : propanone à 298 K).

Composé
CH3Br
CH3CH2Br
(CH3)2CHBr
(CH3)3CBr
Vitesse relative
145
1,0
7,7´10-3
4,0´10-6
CH3CH2Br
(CH3)2CHBr
(CH3)3CBr
Si l'encombrement de l'atome de carbone en b est important l'effet est encore très important. Les substrats néopentyliques réagissent très lentement.

Composé
CH3CH2Br
CH3(CH2)2Br
(CH3)2CHCH2Br
(CH3)3CCH2Br
Vitesse relative
1
0,8
3,0´10-3
1,3´10-5
Les effets stériques s'amortissent assez vite avec l'éloignement de l'atome de carbone fonctionnel.

Dérivé halogéné
tBuCH2Br
tBu(CH2)2Br
tBu(CH2)3Br
Vitesse relative
1,3´10-5
3´10-2
1
1-bromobicyclo[2,2,2]octane
1-bromobicyclo[2,2,2]octane
La figure de gauche représente le 1-bromobicyclo[2,2,2]octane. Ce composé n'est pas du tout réactif dans les réactions de substitutions nucléophiles SN2 à cause de l'encombrement stérique de l'atome de carbone porteur de l'halogène. Il ne réagit pas non plus selon un processus SN1 car cela impliquerait la formation d'un carbocation non plan.
Effets électroniques
On s'intéresse à la réaction suivante pour différents groupes R (solvant : acétone).

Composé
CH3(CH2)2Cl
CH2=CHCH2Cl
PhCH2Cl
CH3COCH2Cl
Vitesse relative
1,0
75
180
33 000
Les dérivés allyliques et benzyliques réagissent plus rapidement que les substrats saturés. On l'interprète par le fait que la charge qui se développe dans l'état de transition est stabilisée par résonance avec le système d'électrons p.
Notons qu'à du mécanisme SN2 ordinaire, il existe un mécanisme particulier nommé SN2' observé chez les systèmes allyliques.
Les composés carbonylés a-halogénés réagissent rapidement. La mobilité de l'halogène est accrue par l'interaction entre le nucléophile et le groupe carbonyle. Leur hydrolyse rapide dans les yeux provoque un comportement lacrymogène.
Influence du solvant
L'influence qualitative de la nature du solvant sur les substitutions nucléophiles a été étudiée par Hughes et Ingold. Le modèle consiste à comparer la solvatation des réactifs avec celle de
état de transition. Nous nous limitons ici aux réactions SN2 faisant intervenir un dérivé halogéné comme substrat. Celui-ci est donc neutre. La théorie de Hughes et Ingold fait intervenir seulement des interactions de nature électrostatique. Plus la solvatation d'une espèce par le solvant est grande, plus l'énergie de la nouvelle entité solvatée est abaissée. D'autre part, une espèce est d'autant plus solvatée que sa charge électrique est plus élevée et concentrée dans un volume plus petit.
Puisque l'énergie d'activation est la différence entre l'énergie de l'état de transition et celle des réactifs, on en déduit :
  • si les réactifs sont moins solvatés que l'état de transition, l'énergie d'activation diminue et on observe une accélération ;
  • si les réactifs sont plus solvatés que l'état de transition, l'énergie d'activation augmente et on observe une diminution de vitesse.
Les diagrammes suivants montrent l'influence de l'augmentation de la polarité du solvant sur la vitesse de réaction.
Création de charges contraires dans l'état de transition. Augmentation de la vitesse
Charge plus dispersée dans l'état de transition que dans les réactifs. Diminution de la vitesse
Dans les solvants dipolaires aprotiques, on observe une grande accélération des réactions SN2 dans lesquelles le nucléophile est un anion. A titre d'exemple, la constante de vitesse de la réaction suivante est un million de fois plus grande dans le DMF que dans le méthanol.
Les solvants dipolaires aprotiques se caractérisent par des dipôles dont les extrémités négatives sont tournées vers l'extérieur de la molécule de solvant. Au contraire, la partie positive de l'atome central est camouflée par les atomes périphériques. Il en résulte que ces solvants solvatent spécifiquement les cations. L'anion est libéré de la paire d'ions et il est peu ou pas solvaté. De ce fait, sa nucléophilie est considérablement exaltée par rapport à ce qu'on observe dans un solvant protique. Dans ce type de solvant, la nucléophilie des ions halogénures varie dans le même ordre que leur basicité :
I- > Br- > Cl-
Solvant
Permittivité relative er
Moment dipolaire
38
3,8
49
4,3
30
5,5
L'utilisation d'agents de transfert de phase comme les ions ammonium quaternaires, les éthers couronnes et les cryptands permet d'exalter la nucléophilie des anions. On peut ainsi, par exemple, synthétiser des fluorures d'alkyles grâce à l'activation anionique obtenue par l'utilisation d'un éther couronne.

Applications diverses
Nous allons décrire dans ce paragraphe quelques exemples d'alkylation de réactifs inorganiques. Le premier exemple est la synthèse des
nitriles de Kolbe.
On trouvera ci-dessous une liste non exhaustive de réactions de substitution nucléophiles impliquant des réactifs organiques et inorganiques qui ont été traitées dans d'autres chapitres.
Dans la réaction suivante on note l'inversion de Walden du centre chiral porteur du nucléofuge.
Les substitutions nucléophiles peuvent avoir lieu de façon intramoléculaire. On trouve des exemples dans la synthèse de Williamson des éthers et en particulier des époxydes. La réaction de Darzens dans sa dernière étape constitue un cas particulier de substitution intramoléculaire.
Des substitutions nucléophiles intramoléculaires peuvent intervenir avec rétention de configuration. Un exemple de tel mécanisme SNi s'observe lors de la réaction entre un alcool et le chlorure de thionyle dans l'éther en l'absence de pyridine.
Dérivés sulfonylés
Notons que dans ce type de réaction, les dérivés halogénés sont avantageusement remplacés en tant que substrats par des mésylates, des tosylates ou des triflates obtenus par sulfonylation des alcools.
Les nucléofuges sont des bases beaucoup plus faibles donc plus facilement déplaçables que les ions halogénures. Les triflates d'alkyle sont, à cet égard, d'excellents substrats car l'ion triflate est la base conjuguée, très stable, de l'acide triflique, un superacide.
Mésylate (ROMs)
Triflate (ROTf)
Tosylate (ROTs)
Substitutions nucléophiles monomoléculaires
Introduction
Pour un certain nombre de réactions de substitutions, on observe les résultats expérimentaux suivants :

Mécanisme et cinétique
Le mécanisme suivant a été proposé :

Introduisons les constantes de vitesse de chacune des étapes.
La première étape est cinétiquement déterminante. Elle est monomoléculaire et donne son nom au mécanisme SN1.
Par définition, la vitesse de la réaction est :


La deuxième étape est élémentaire donc l'ordre est égal à la molécularité de cette étape c'est à dire 2 (loi de Van 't Hoff.)

Exprimons la vitesse de formation du carbocation à partir des étapes élémentaires de formation et de destruction.

Cet intermédiaire de réaction ne s'accumule pas et on peut lui appliquer le principe de l'état quasi-stationnaire :

soit :

l'expression de la vitesse est donc :

Cette expression montre qu'un ajout d'ions X- fait rétrograder la vitesse conformément à l'expérience (effet de sel). La réaction ne possède pas d'ordre.
Au début de la transformation, on peut négliger le premier terme du dénominateur devant le second.

On observe alors expérimentalement un ordre égal à 1.

Le profil énergétique de la réaction est le suivant.
L'étape d'ionisation du substrat étant cinétiquement déterminante, c'est elle qui possède la plus grande énergie d'activation (état de transition tardif). En revanche, l'étape au cours de laquelle le nucléophile réagit avec le carbocation possède une énergie d'activation faible (état de transition précoce).

Puisqu'il se forme un intermédiaire de haute énergie, on peut appliquer le postulat de Hammond. Celui-ci nous indique que les deux états de transition ayant une énergie proche de celle du carbocation auront une structure voisine de celui-ci. En conséquence, tout facteur stabilisant le carbocation abaisse l'énergie de l'état de transition qui y conduit, donc accroit la vitesse de la réaction.

Effets stériques
Le passage de la géométrie tétraédrique de l'atome de carbone d'un dérivé halogéné à la géométrie plane de l'atome de carbone d'un
carbocation s'accompagne d'une diminution des répulsions entre les liaisons car les angles entre-elles passsent de 109 ° à 120 °. Cette décompression stérique est maximale lorsque le dérivé halogéné est tertiaire.
Dans certains systèmes pontés l'atome de carbone ne peut adopter une géométrie localement plane du fait de contraintes stériques importantes. L'exemple suivant illustre cette situation. Pour une raison analogue, on ne peut pas former facilement de double liaison en tête de pont (règle de Bredt).
1-bromonorbornane
1-bromonorbornane
La figure de gauche représente le 1-bromobicyclo[2,2,1]heptane ou
1-bromonorbornane. Lorsqu'on mélange ce composé avec une solution hydroalcoolique de nitrate d'argent, on n'observe pas de réaction même à chaud. Cela montre que ce composé n'est pas du tout réactif dans les réactions de substitutions nucléophiles SN1 car cela conduirait à un carbocation non plan. Notons que ce composé ne réagit pas non plus selon un processus SN2 à cause de l'encombrement stérique de l'atome de carbone porteur de l'halogène.
Effets électroniques
On s'intéresse aux vitesses relatives de solvolyse dans l'acide méthanoïque pour la réaction suivante (100 °C).

Les résultats obtenus avec différents substrats sont donnés ci-dessous.
Composé
CH3Br
CH3CH2Br
(CH3)2CHBr
(CH3)3CBr
Vitesse relative
0,6
1,0
25
108
On constate que la vitesse est d'autant plus grande que l'atome de carbone portant l'halogène est substitué par plus de groupes alkyles. Ce résultat s'interprète par le fait que l'énergie du carbocation formé est d'autant plus petite que celui-ci est davantage substitué par ces groupes. Ainsi qu'on l'a vu plus haut lors de l'étude du mécanisme, le postulat de Hammond permet de dire que les deux états de transition ayant une énergie proche de celle du carbocation auront une structure voisine de celui-ci. En conséquence, le carbocation le plus stable correspond à l'énergie de l'état de transition la plus basse. Le diagramme suivant résume cette situation.
Schématiquement, l'augmentation du nombre de substituants alkyles augmente la stabilité des carbocations pour deux raisons :
  • l'effet inductif +I des groupes alkyles disperse la charge positive qui est de ce fait mieux supportée ;
  • l'accroissement du nombre des substituants augmente les possibilités d'hyperconjugaison.
Les halogénures vinyliques sont très peu réactifs vis à vis des réactions de substitution nucléophile. De même, les halogénures aromatiques ne réagissent pas dans les conditions ordinaires. Pour créer des liaisons CC avec ces substrats, on utilise des réactions de couplage catalysées par des métaux de transition comme le palladium.
L'halogène étant donneur mésomère, on assiste à un renforcement de la liaison carbone-halogène. Les formes mésomères ci-dessous traduisent ce phénomène.
Les substitutions avec les dérivés halogénés aromatiques sont possibles mais selon des mécanismes différents. On en recense principalement deux : Au contraire, les substrats possèdant une liaison multiple sur l'atome de carbone en b, sont beaucoup plus réactifs que les substrats saturés.
Composé
CH3CH2OTs
iPrOTs
CH2=CH-CH2OTs
PhCH2OTs
Vitesse relative
1
2,7
33
385
Les systèmes allyliques réagissent généralement selon un mécanisme SN1 car ils peuvent conduirent à la formation de carbocations stabilisés.
La réaction peut s'accompagner d'une réaction de transposition allylique. Notons également l'existence d'un mécanisme bimoléculaire plus rare, noté SN2'.
Les systèmes benzyliques se comportent de façon comparable. Les possibilités de délocalisation sont encore plus élevées.
Influence du solvant
Afin d'étudier l'influence du solvant, il faut examiner comment il intervient dans l'étape d'ionisation du substrat qui est cinétiquement déterminante :

  • un moment dipolaire élevé favorise l'ionisation ;
  • une grande permittivité diélectrique augmente la dissociation des paires d'ions formées ;
  • un solvant protique, donneur de liaison hydrogène, permet une bonne solvatation de l'anion.
. Le tableau suivant regroupe quelques résultats expérimentaux. On constate que l'acide méthanoïque (formique) et l'eau sont de très bons solvants pour ce type de réaction.
Solvant
Permittivité relative er
Constante de vitesse relative k
CH3CO2H
6
1
CH3OH
33
4,0
HCO2H
58
5,0´103
H2O
78
1,5´105
Le diagramme traduit :
  • une stabilisation de l'état de transition porteur de charges partielles ;
  • une stabilisation plus élevée encore pour le carbocation et l'ion halogénure car ils sont porteurs de charges nettes. D'après le posutlat de Hammond, l'état de transition qui précède le carbocation voit également son énergie abaissée. Comme il s'agit de l'étape cinétiquement déterminante, la vitesse est accrue.
Action des acides de Lewis
L'ajout
d'acides de Lewis comme Ag+ ou AlCl3 qui forment des complexes acide-base de Lewis avec l'ion halogénure facilite l'ionisation du substrat. La vitesse de la réaction avec un nucléophile est accrue.
Si l'on ajoute une solution hydro-alcoolique de nitrate d'argent à un dérivé halogéné, on observe la formation d'un trouble qui traduit l'apparition de nouvelles espèces. Cela constituait naguère un test simple (mais peu fiable) de la classe des dérivés halogénés.
Classe du dérivé halogéné
I
II
III
Réaction
lente à chaud
lente à la température ambiante
instantanée à la température ambiante
Le développement d'une charge positive sur l'atome de carbone du substrat en présence d'un acide de Lewis augmente sa dureté. Cet effet est visible lorsqu'on utilise un nucléophile ambident.
La réaction "normale" entre un dérivé halogéné et un ion cyanure conduit à un nitrile par un mécanisme de type SN2. L'ion cyanure réagit par son pôle carboné mou, sur l'atome de carbone mou du substrat.
La présence d'un acide de Lewis comme l'ion Ag+ qui forme un complexe avec le substrat entraîne le développement d'une charge positive partielle sur l'atome de carbone siège de la substitution. La présence de cette charge augmente la dureté du substrat.
L'ion cyanure réagit au niveau de l'atome d'azote dur, pour donner un isonitrile.
Stéréochimie
Dans
l'introduction à l'étude des substitutions nucléophiles SN1, nous avons vu qu'en partant d'un substrat chiral, ces réactions conduisent généralement à un mélange racémique.
Un mécanisme plus fidèle à la réalité fait intervenir des paires d'ions. Dans ce qui suit, (s) désigne le solvant.
Si l'attaque du nucléophile a lieu sur le carbocation symétriquement solvaté, elle est équiprobable sur chacune des faces.
Selon les conditions expérimentales, et la nature du nucléofuge, le nucléophile peut réagir sur un cation non symétriquement solvaté. Dans ce cas, l'attaque sur la face opposée au nucléofuge qui est la plus dégagée est plus probable. On observe donc un excès du produit dont la configuration est inversée par rapport au substrat de départ.
Examinons à présent le cas où le substrat possède deux centres chiraux dont un seul est susceptible d'être ionisé.
Le carbocation présente de faces diastéréotopiques non équivalentes. On obtient des produits diastéréo-isomères en proportions inégales. Le centre chiral non affecté par la substitution exerce une induction asymétrique.
Dans certains cas, l'une des faces de la molécule est beaucoup plus encombrée que l'autre. Les proportions de produits obtenus peuvent alors être très différentes. Dans l'exemple suivant on obtient le produit chiral avec un rendement de 85 %.
Des cas plus complexes ont été mis en évidence lorsque intervient la participation d'un groupement voisin.

Transpositions de carbocations
Dans une réaction de transposition, un atome ou un groupe d'atomes se déplace d'un point à un autre. Lorsqu'il y a migration d'une liaison sigma, il s'agit d'une transposition sigmatropique.

La force motrice de la transposition est la formation d'un carbocation plus stable.
Ce type de réaction est un cas particulier de transposition de Wagner-Meerwein.
Puisque les carbocations peuvent être générés facilement à partir d'alcools tertiaires, on rencontre là aussi ce type de transposition.
. Réactions d'éliminations
Dans une réaction d'élimination, deux groupes appartenant à une molécule et généralement portés par des atomes différents, sont éliminés (les a-éliminations constituent un cas particulier). Il y a formation d'une insaturation. Celle-ci peut être une liaison double ou correspondre à un cycle.
Eliminations b bimoléculaires E2
Introduction
Les réactions d'élimination b initiées par des bases à partir des dérivés halogénés produisent des alcènes. On peut les regarder comme les réactions inverses des
additions électrophiles des halogénures d'hydrogène sur la double liaison éthylénique.
Stéréosélectivité, stéréospécificité
La réaction d'élimination nucléophile bimoléculaire est
diastéréospécifique. Afin que les orbitales à l'origine de la double liaison puissent se recouvrir efficacement, les liaisons impliquées dans le processus d'élimination doivent être dans un même plan. Lorsque les contraintes au sein de la molécule le permettent, la disposition favorable des liaisons correspond à une géométrie antipériplanaire.
  • le composé de configuration absolue (2R,3S) fournit le composé éthylénique de configuration relative Z ;
  • le composé de configuration absolue (2R,3R) fournit le composé éthylénique de configuration relative E.
Lorsque plusieurs conformations permettent l'élimination, la conformation dans laquelle les groupes alkyles sont situés en position anti est favorisée par rapport à la conformation dans laquelle les groupes alkyles sont en position gauche.
On obtient donc de façon majoritaire le diastéréo-isomère de configuration E.
En série cyclohexanique, le fait que les liaisons doivent adopter une position antipériplanaire implique que les liaisons soient diaxiales. Une molécule rigide comme un dérivé bromé du tertiobutylcyclohexane en a du groupe tertiobutyle, ne conduit à une élimination facile qu'avec le dérivé cis.
Lorsque l'équilibre entre plusieurs conformations est possible, l'élimination s'effectue sur une conformation trans diaxiale bien que la conformation diéquatoriale soit plus stable. Le basculement conformationnel d'une conformation à l'autre ne nécessite qu'une faible énergie. Ce résultat est conforme au principe de Curtin-Hammett.
Un autre exemple concerne l'élimination sur le chlorure de menthyle (I) et le chlorure de néomenthyle (II).
Dans le cas du chlorure de menthyle, l'élimination est difficile car elle s'effectue sur la conformation I' peu stable du fait que les substituants sont en position axiale.
Dans le chlorure de néomenthyle (II) l'élimination est beaucoup plus facile car un seul substituant est en position axiale. Elle conduit de façon majoritaire au composé
Dans certains composés composés pontés comme 1-chlorobicyclo[2,2,1]heptane exo (chlorure de bornyle), la rigidité du système bicyclique s'oppose à une disposition antipériplanaire des liaisons. On observe alors une élimination syn.
On connait d'autres exemples d'élimination syn. Citons-en quelques-uns :
Régiosélectivité, règle de Zaytzev
La transformation étant irréversible, les déshydrohalogénations E2 sont sous
contrôle cinétique. Le produit majoritaire est le plus vite formé. On observe que le composé éthylénique le plus substitué est majoritaire car la double liaison est déjà partiellement formée dans l'état de transition (règle empirique de Zaytzev).
  • le pourcentage d'alcène le plus substitué augmente lorsque le caractère nucléofuge augmente (tendance E1) ;
  • il diminue avec l'augmentation de l'encombrement de la base (tendance E1cB).
Ces résultats peuvent être rationnalisés par la théorie de l'état de transition variable.
Influence de la nature de la base
Pour promouvoir les éliminations E2 on utilise des bases fortes (HO-, RO-, H2N- ). On a aussi recours à des
amines encombrées non nucléophiles (DBU, DBN, DABCO).
Influence du solvant
Il ne faut pas utiliser de solvant trop protique de façon à laisser à la base sa pleine capacité d'action. C'est la raison pour laquelle on utilise de préférence KOH dissous dans l'éthanol plutôt que dans l'eau. Certaines composés ioniques comme tBuOK voient leur activité basique renforcée par l'utilisation d'agents de
transfert de phase comme les éthers couronnes ou les cryptands. La complexation de l'ion K+ exalte la basicité de l'anion.
Compétition entre les mécanismes E2 et SN2
L'élimination E2 et la substitution SN2 sont toujours en compétition l'une avec l'autre. Examinons quelques résultats expérimentaux.

  • alkylation de l'ion éthanoate (acétate) par divers dérivés halogénés (solvant : propanone)
    Dérivé halogéné
    Pourcentage de substitution
    Pourcentage d'élimination
    CH3CH2Br
    100
    0
    (CH3)2CHBr
    100
    0
    (CH3)3CBr
    0
    100
    (CH3)2CHCHBrCH3
    11
    89
  • alkylation de l'ion éthanolate, base plus forte que la précédente, (synthèse de Williamson) par divers dérivés halogénés (solvant : éthanol)
Dérivé halogéné
Pourcentage de substitution
Pourcentage d'élimination
CH3CH2Br
99
1
(CH3)2CHBr
20
80
(CH3)2CHCH2Br
40
60
CH3CH2 CHBrCH2CH3
12
88
Il ressort de ces valeurs numériques les résultats suivants :
  • Les halogénures primaires donnent de façon majoritaire des réactions de substitution par un mécanisme SN2. On peut promouvoir l'élimination E2 en utilisant des bases fortes non nucléophiles.
  • Les halogénures secondaires se comportent comme les primaires mais en présence d'un très bon nucléofuge, on observe des mécanismes SN1 et E1 avec des bases faibles.
  • Les dérivés tertiaires ne donnent pas de substitution SN2. Ils donnent des réactions SN1 avec des bases faibles en compétition avec l'éliminations E1. Avec des bases fortes, on observe des éliminations E2.
Influence de la température
Expérimentalement, on constate qu'une élévation de la température favorise l'élimination aux dépens de la substitution. On peut rationaliser ce résultat en remarquant que dans une réaction de substitution une liaison est rompue et une autre est reformée tandis que dans une réaction d'élimination, deux liaisons sont rompues et une liaison double est formée. L'énergie d'activation d'une réaction d'élimination est donc plus élevée que celle d'une réaction de substitution. L'élimination ne devient donc prédominante par rapport à la substitution que si la température est suffisamment élevée.

Applications
Lorsqu'on réalise une réaction d'élimination sur un dérivé dihalogéné, on obtient dans un premier temps un halogénure vinylique. Si l'on poursuit la réaction, on peut obtenir un diène 1,3. L'exemple suivant est une étape de la synthèse de Schenk de la
cantharidine.
Selon le nombre et la position des atomes d'hydrogène, on peut également obtenir un alcyne. L'exemple ci-dessous concerne la synthèse du diphénylacétylène [31]. Le substrat peut être facilement obtenu par bromation du stilbène.
Il se forme dans un premier temps un halogénure vinylique.
De même, l'élimination a partir d'un dérivé gem-dihalogéné, fournit un alcyne.
Eliminations b monomoléculaires E1
Introduction
On effectue la solvolyse du 2-bromo-2-méthylpropane (bromure de tertiobutyle) dans un mélange éthanol-eau. A côté du produit de substitution normalement attendu qui est l'alcool, on observe la formation d'un composé éthylénique. Ce dernier produit est le fruit d'une réaction d'élimination.

La loi cinétique observée est du type :
Mécanisme
Le mécanisme suivant en deux stades permet de rendre compte des résultats expérimentaux :

Ce mécanisme fait intervenir une première étape cinétiquement déterminante identique à celle qu'on observe dans le mécanisme SN1.
Régiosélectivité
On s'intéresse à la solvolyse du 2-bromo-2-méthylbutane dans un mélange éthanol eau 80/20.

A cela, il faut ajouter les composés issus d'une substitution SN1.
On observe les pourcentages suivants.
Dérivé halogéné
I
II
III + IV
Pourcentage
32
8
60
Ces résultats montrent que le rapport des pourcentages en composés éthyléniques I/II = 4, n'est pas celui qui résulterait d'un équilibre entre ceux-ci. On est ici dans une situation différente de celle qu'on observe dans la déshydratation des alcools pour laquelle on observe l'équilibre suivant.
Cela signifie que la régiosélectivité observée est le résultat d'un contrôle cinétique et non thermodynamique de la transformation. Le composé éthylénique majoritaire est celui qui est formé le plus vite. L'état de transition qui y conduit est celui qui possède l'enthalpie libre molaire d'activation la plus basse. On interprète ce résultat par le fait que la formation de la liaison double est déjà commencée dans l'état de transition.
Notons que l'alcène le moins substitué peut être majoritaire lorsque des contraintes stériques importantes s'opposent à la formation de l'alcène le plus substitué.
Compétition entre les mécanismes E1 et SN1
Puisque la première étape de leur mécanisme respectif est commune, l'élimination E1 est toujours en compétition avec la
substitution SN1. Les facteurs qui influencent l'un ou l'autre des deux mécanismes sont assez semblables à ceux qui interviennent pour déterminer le rapport SN2/E2. L'élimination est favorisée par :
  • une élévation de température ;
  • une augmentation de la force de la base.
Dans les applications, il est très rare qu'on cherche à promouvoir des éliminations de type E1 chez les dérivés halogénés. La plupart du temps cette élimination est une réaction secondaire observée à côté de la substitution.
Eliminations b E1cB
Introduction
Lorsqu'on fait réagir le 1,1-dichloro-2,2,2-trifluoroéthane avec une solution aqueuse d'hydroxyde de sodium, on observe la réaction suivante.

La cinétique est d'ordre global deux. Ordre partiel un par rapport à l'ion hydroxyde et par rapport à l'halogénure. Lorsque la réaction est effectuée dans l'eau lourde, on retrouve une partie du substrat deutérié. Cela indique qu'il s'est formé un carbanion intermédiaire. Dans l'exemple cité, l'arrachage du proton par la base pour former le carbanion est réversible.
L'élimination de l'ion halogénure à partir de la base conjuguée (en anglais : conjugate base d'où cB) du substrat intervient dans la seconde étape. Cette étape monomoléculaire est cinétiquement déterminante.
Le mécanisme précédent est appelé (E1cB)R (R comme réversible). Dans d'autres cas, l'étape cinétiquement déterminante est l'arrachage du proton par la base. On a alors un mécanisme (E1cB)I (I comme irréversible). Quoi qu'il en soit, le mécanisme E1cB nécessite la formation d'un carbanion suffisamment stable et un mauvais nucléofuge. On le rencontre dans la crotonisation des aldols en milieu basique et dans la condensation de Knoevenagel.
Théorie de l'état de transition variable
Les résultats expérimentaux montrent que l'élimination E2 fait intervenir un ensemble de mécanismes qui diffèrent les uns des autres par la synchronisation plus ou moins élevée des ruptures des liaisons C-H et C-X. Dans la théorie de
l'état de transition variable développée par le chimiste américain J. F. Bunnett, le mécanisme E2 synchrone occupe le centre du spectre tandis que les limites correspondent aux mécanismes E1Cb et E1 respectivement [13].
  • Dans le type E1cB (E1cB like), la rupture de la liaison C-H précède celle de la liaison C-X. A la limite, on a la formation d'un carbanion ;
  • Dans le mécanisme E2, les liaisons sont rompues de façon synchronisée ;
  • Dans le type E1 (E1 like), la rupture de la liaison C-X précède celle de la liaison C-H. A la limite, on a la formation d'un carbocation.
La position de la réaction dans le spectre fait intervenir plusieurs facteurs :
  • la nature de la base ;
  • la nature du nucléofuge ;
  • la structure du substrat et notamment l'influence électronique des substituants ;
  • la nature du solvant.
Autres réactions d'élimination
a-élimination
Dans une réaction d'a-élimination, les deux groupes éliminés sont liés au même atome de carbone. Il y a formation d'un carbène (ou d'un intermédiaire analogue). L'existence des carbènes comme intermédiaires de réaction a été postulée par J. Hine en 1950 lors de son étude de la réaction entre le chloroforme et les ions hydroxyde
[15].
Le passage des ions hydroxyde en phase organique est facilité par l'utilisation d'un catalyseur par transfert de phase.
L'addition d'un dichlorocarbène sur une double liaison éthylénique suivie d'une élimination est une méthode de cyclopropanation illustrée par la synthèse du benzocyclopropène [25].
Une autre méthode ce cyclopropanation consiste à utiliser le couple CH2I2, Zn-Cu (réaction de Simmons-Smith).
La réaction de Reimer-Tiemann constitue un autre exemple d'utilisation de dihalogénocarbènes en synthèse.
Notons que des dérivés organométalliques de carbènes interviennent comme intermédiaires dans la métathèse des composés éthyléniques.
g-élimination
Un exemple est la déshalogénation par un métal comme le zinc des dérivés 1,3-dihalogénés conduisant au cyclopropane.

Dans la réaction suivante, la fonction nitrile permet la formation d'un carbanion stabilisé. On peut regarder la regarder comme une alkylation de ce carbanion par substitution nucléophile interne. Cette réaction constitue une préparation d'un précurseur de l'acide cyclopropanecarboxylique [29].
d-élimination
Des électrons de liaisons multiples peuvent assurer un relais dans le déplacement des liaisons. La réaction suivante est une méthode de synthèse de diènes conjugués. Une autre voie d'accès à ces composés consiste à effectuer deux
éliminations b successives.
Elimination-décarboxylation
Il s'agit d'une
réaction d'élimination des ions carboxylate des acides b-halogénés. Elle est utilisée dans la synthèse stéréospécifique des composés éthyléniques.
Elimination utilisant des métaux
Les dérivés dihalogénés traités par un métal comme le zinc ou le magnésium conduisent au composé éthylénique par une réaction d'élimination. Il y a formation d'un composé organométallique intermédiaire. L'exemple suivant concerne la synthèse du cyclobutène
[34].
Une réaction du même type permet de synthétiser le plus simple des allènes [33].
On peut mettre à profit cette réaction pour régénérer une double liaison éthylénique après protection par addition de dibrome. La réaction entre le magnésium et le dibromo-1,2-éthane peut servir à activer le magnésium dans la synthèse des organomagnésiens.
A partir du 1,3-dibromopropane, on obtient le cyclopropane par une réaction de g-élimination.
Couplages utilisant des métaux de transition comme catalyseurs
Introduction
L'importance des réactions de couplage catalytique des dérivés halogénés utilisant des complexes de métaux de transition comme ceux du
palladium, a été récemment illustrée par l'attribution du prix Nobel de chimie 2010 au chimiste américain R. Heck et aux chimistes japonais Negishi et Suzuki. Historiquement, la première réaction de couplage croisé à avoir été publiée en 1972 est la réaction de Kumada entre un dérivé halogéné et un organomagnésien.
Réaction de Mozoroki-Heck
Cette réaction a été découverte indépendamment par le chimiste japonais T. Mizoroki et l'américain R. Heck dans les années 1970
[16].
R1 : alcényle, aryle ; allyle, alcynyle, benzyle ;
X : halogène (I, Br, Cl) , OTf (triflate) ;
R2 : alkyle, alcényle, aryle, allyle, CO2R ; OR, SiR3.
Le composé éthylénique doit posséder au moins un atome d'hydrogène vinylique.
Le catalyseur est un complexe du palladium (0) comme le tris(dibenzylidèneacétone)dipalladium (0) Pd2(dba)3 qui est une source stable de Pd (0). On peut aussi utiliser un composé du Pd (II) tel que Pd(OAc)2 en présence d'une phosphine telle que PPh3 permettant de générer Pd (0) in situ.
Un solvant aprotique tel que (THF, DMF) (mais des procédures en milieu aqueux existent)
La base est typiquement une amine tertiaire telle que Et3N.
La température est comprise dans la gamme : 20 °C à 140 °C.
La réaction est stéréosélective. On obtient de façon préférentielle le composé éthylénique de stéréochimie E. L'aspect mécanistique de la réaction de Heck est différent de celui des réactions de Suzuki et de Negishi. Il existe en fait deux mécanismes possibles :
  • mécanisme neutre ;
  • mécanisme cationique.
La réaction a été utilisée dans la synthèse de nombreux composés cycliques complexes comme la morphine ou le taxol [40]. Elle est utilisée dans l'industrie pharmaceutique pour la synthèse du Naproxène.

Réaction de Negishi
Cette réaction été mise au point par le chimiste japonais Negishi en 1977
[50]. Celui-ci a obtenu le prix Nobel de chimie en 2010 pour cette découverte [36].
C'est une réaction de couplage croisé catalysée par un complexe du palladium, entre un dérivé halogéné R1X et un organozincique R2ZnX'.
R1 : alcényle, aryle, allyle, alcynyle.
X : halogène (I, Br, Cl) , OTf (triflate) ;
R2 : alkyle, alcényle, aryle, allyle ;
X : halogène (I, Br, Cl)
Un complexe du palladium (0) tel que Pd(PPh3)4 est utilisé en quantité catalytique.
Les conditions de la réaction sont très douces. Elle est effectuée à la température ambiante.
La présence du zinc permet à la réaction d'être compatible avec de nombreux groupes fonctionnels (alcool , phénol, silanes, acétates, ester boroniques, amides).

Le mécanisme simplifié est résumé ci-dessous.

Il comporte les étapes suivantes :
La réaction de Negishi a notamment été utilisée avec succès pour synthétiser des biaryles non symétriques encombrés qui sont traditionnellement difficiles d'accès.
Naguère, la synthèse des biaryles symétriques était réalisée presque exclusivement grâce au couplage d’Ullmann. La réaction suivante est une variante énantiosélective utilisant comme catalyseur, le tris(dibenzylidèneacétone)dipalladium (0) et comme catalyseur chiral un dérivé du ferrocène. Elle permet la préparation d'un binaphtyle chiral avec une très bonne énantiosélectivité. (P. Espinet et coll.)
Notons cependant que l'un des inconvénients habituels de la réaction de Negishi est qu'elle nécessite la préparation in situ de l'organozincique. Ce dernier non isolable n'est donc pas facile à purifier.
Réaction de Suzuki
Cette réaction a été proposée par N. Miyaura et A. Suzuki en 1979
[51]. Ce dernier a obtenu le prix Nobel de chimie en 2010 pour cette découverte [36].
Il s'agit d'une réaction de couplage croisé entre un électrophile R1X : dérivé halogéné vinylique ou arylique ou encore un dérivé sulfonylé (triflate) et un acide boronique R2B(OH)2 ou mieux, un ester boronique R2B(OR')2 ou encore un trialkylborane avec :
R1 : alcényle, aryle, benzyle, allyle, alcynyle ;
X = halogène (I, Br), OTf (triflate), N2+ ;
R2 : phényle, alcényle.
Un complexe du palladium tel que le Tétrakis (triphénylphosphine)palladium (0) : Pd(PPh3)4, est utilisé en quantité catalytique.
Entre autres avantages de ce type de couplage : réactifs faciles à obtenir, stables à l'air et en milieux aqueux, non toxiques. Les sous-produits sont facilement éliminés après réaction. Le couplage est régiosélectif et stéréosélectif. La réaction est très peu sensible à l'encombrement stérique. Le mécanisme simplifié est représenté ci-dessous.
Il comporte les étapes suivantes :
L’activation par une base de l’entité boronique facilite l'étape de transmétallation. L'organoborane est habituellement préparé par hydroboration d'un alcyne ou par hydroboration d'un alcène.
Un très gros avantage de ce type de réaction est que les réactifs peuvent posséder des groupes fonctionnels variés. Il est ainsi possible de coupler entre-elles des chaînes carbonées fonctionnalisées de grandes tailles lors d'une synthèse. Dans l'exemple suivant, l'une des chaînes de l'organoborane comporte un époxyde pourtant réputé comme étant particulièrement réactif.
Le couplage de Suzuki a permis une synthèse élégante du bombykol [51]
Ainsi que celle du rétinol (vitamine A1.)
La réaction a été utilisée avec succès pour synthétiser de nombreuses structures complexes.
La dernière étape de la synthèse de la myxalamide A par C.H. Heathcock est une réaction de couplage de Suzuki entre un vinylborane de stéréochimie E et un iodotriene fonctionnalisé de stéréochimie Z [52]
Le coût assez modique des réactifs de départ permet une utilisation à l'échelle industrielle.
Alkylations de composés organométalliques
Réaction de Kumada
Cette réaction d'alkyation des organomagnésiens par un dérivé halogéné en présence d'un complexe de nickel ou de palladium est étudiée dans le chapitre relatif aux
composés organométalliques.
Réaction de Corey-House-Posner-Whitesides
L'alkylation des
cuprates lithiens par des dérivés halogénés primaires est connue sous le nom de réaction de Corey-House-Posner-Whitesides. Elle permet la fixation de groupes alkyles à partir de substrats comportant des halogènes comme l'iode qui est un bon groupe nucléofuge [49].
Cette réaction a permis à Corey et à ses collaborateurs de réaliser la synthèse de l'hormone juvénile Cecropia (1968).

Avec les dérivés halogénés secondaires ou tertiaires l'élimination devient prépondérante.
Alkylation des alcénylcuprates
L'alkylation directe des organomagnésiens vinyliques n'est pas possible sans catalyse en raison du manque de réactivité de la liaison métal-halogène. Les alcénylcuprates ou organocuprates vinyliques, sont susceptibles d'être directement alkylés avec un iodure d'alkyle. Ce type de réaction constitue une méthode de synthèse d'alcènes substitués.
La stéréochimie de l'alcène est donc parfaitement contrôlée. Le mécanisme est de type SN2. Pour un exemple d'utilisation des cuprates vinyliques [35].
Les cuprates de Lipshutz permettent l'alkylation de dérivés halogénés secondaires.
Réaction historique de Wurtz
La réaction repose sur la formation d'un
organosodique.
Le carbanion formé provoque une substitution nucléophile sur le dérivé halogéné.
Un exemple original qui n'est guère généralisable est la préparation du bicyclo[1,1,0]butane [27].
Le couplage de Wurtz est une réaction secondaire génante au cours de la préparation des composés organométalliques. En dehors de quelques cas très particuliers, ce type d'alkylation par les organosodiques n'est pas utilisable en synthèse car les carbanions étant des bases très puissantes, ils conduisent fréquemment à des réactions secondaires indésirables.
Réactions de réduction
Réduction par les métaux
La réaction entre un dérivé halogéné et le zinc conduit à un
organozincique. Ce dernier est ensuite traité par un donneur de proton comme l'acide acétique.
Il s'agit d'une réaction d'oxydo-réduction dont l'équation s'écrit :
La réaction entre le zinc et le chlorure de triphénylméthyle conduit à la formation d'un radical organique relativement stable, le radical triphénylméthyle.
Réduction par les hydrures
LiAlH4 permet la réduction des dérivés halogénés. La réaction s'apparente à une substitution nucléophile par l'ion hydrure. On utilise aussi LiBHEt2 qui s'avère très efficace dans cette réaction.

Réduction par le dihydrogène
Les dérivés halogénés sont réduits par le dihydrogène en milieu basique.

Bibliographie
Ouvrages et articles expérimentaux
[1] Manuel d'expériences de chimie - UNESCO Société chimique de France - Université de Montpellier.
[2] P. Rendle, M. V. Vokins, P. Davis, Experimental Chemistry (Edward Arnold).
[3] L. F. Fieser, K. L. Williamson - Organic Experiments (D. C. Heath and Company).
[4] R. Adams, J. R. Johnson, C. F. Wilcox - Laboratory Experiments in Organic Chemistry (The Macmillan Company, Collier-Macmillan Limited).
[5] G. K. Helmkamp, H. W. Johnson Jr, Selected Experiments in Organic Chemistry (W. H. Freeman and Co).
[6] Vogel's Textbook of Practical Organic Chemistry (Longman).
[7] J. R. Mohrig, D.C Neckers, Laboratory Experiments in Organic Chemistry (D. Van Nostrand Company).
[8] R. Q. Brewster, C.A. Van der Werf, W. E. Mc Ewen, Unitized Experiments in Organic Chemistry (D. Van Nostrand Company).
[9] F. G. Mann, B.C. Saunders, Practical Organic Chemistry (Longman).
[10] M. T. Yip, D. R. Dalton, Organic Chemistry in the Laboratory (D. Van Nostrand Company).
Articles
[13] J. F. Bunnett, Angew. Chem. Int. Ed. Engl. 1, 225 (1962).
[14] Sir Christopher Ingold- A Major Prophet of Organic Chemistry by Kenneth T. Leffek, JCE, June 1997 Vol. 74 No. 6 p. 625
[15] Hine J, J. Am. Chem. Soc. 1950, 72, 2438.
[16] Palladium-catalyzed vinylic hydrogen substitution reactions with aryl, benzyl, and styryl halides, R. F. Heck, J. P. Nolley, J. Org. Chem., 1972, 37 (14), pp 2320–2322
[49] Posner, G. H. Substitution Reactions using Organo Copper Reagents, Organic Reactions 1975, 22, 253.
[50] Anthony O. King, Nobuhisa Okukado and Ei-ichi Negishi J. Chem. Soc., Chem. Commun., 1977, 683-684
[51] Miyaura, N.; Suzuki, A. Chem. Commun. 1979, 866.
[52] Mapp, A.K., Heathcock, C. H. Total Synthesis Myxalamide A.J. Org. chem. 1999, 64,23-27.


Liens
[17] Nucleophilic substitution
[18] Chemistry Comes Alive, nucleophilic substitution
[19] The Hard Soft Acide Base Principle
[20] Tyrian purple
[21] Cours sur les dérivés halogénés
[22] n-hexadecane by P. A. Levene
[23] linoleic acid by J. W. McCutcheon
[25] Benzocyclopropene by W. E. Billups, A. J. Blakeney, and W. Y. Chow
[26] 1,6-methano-10-annulene by E. Vogel, W. Klug, and A. Breuer
[27] Bicyclo[1,1,0]butane by Gary M. Lampman and James C. Aumiller
[28] Rearrangements induced by cationic or electron deficient sites by William Reusch
[29] Cyclopropanecarboxylic acid by Chester M. McCloskey and George H. Coleman
[30] Glossary of Terms used in Physical Organic Chemistry IUPAC Recommendations 1994
[31] Diphenylacetylene by Lee Irvin Smith and M. M. Falkof
[32] 1,1-dichloro-2,2-difluoroéthylène by J. C. Sauer
[33] Allène by H. N. Cripps and E. F. Kiefer
[34] Cyclobutene by J. Salaün and A. Fadel.
[35] (Z)-1-iodohexene by A. Alexakis, G. Cahiez, and J. F. Normant.
[36] Prix Nobel de chimie 2010
[37] Thèse P. E. Broutin.
[38] Thèse L. Chahen.
[39] Synthesis by metal mediated Coupling Reactions
[40] Heck reaction: Mechanism and it’s application in total synthesis of Natural Products by Venugopal Rao

Ouvrages théoriques
A. Streitwieser Jr, C.H. Heathcock - Introduction to Organic Chemistry (Macmillan Publishing Co).
J. March - Advanced organic chemistry (Wiley Interscience 2006).
F. A. Carey, R. S. Sunberg - Advanced Organic Chemistry, (Plenum Press, 1990).
N. T. Ahn - Introduction à la chimie moléculaire, (Ellipses, 1994).
C. Reichardt - Effets de solvants en chimie organique, (Flammarion Sciences, 1971).
P. Laszlo - Logique de la synthèse organique. Cours de l'Ecole Polytechnique (Ellipses, 1993).
P. Atkins - General Chemistry (Scientific American Books W.H Freeman and Co).
Metal-catalyzed Cross-coupling Reactions, Edited by F. Diederich and P. J. Stang, Wiley-VCH, New York, 2004
Organometallics in Synthesis. A manual, Schlosser, M., Second Edition, Wiley, New York, 2002.

Pour aller plus loin
Suzuki cross coupling
Synthèse organique par voie organométallique par T. Ollevier
Organometallic compound of Lithium Sodium and Potassium by Michael K. Denk.
Organometallic chemistry by Worawan Bhanthumnavin

Bien qu'étant assez anciens, les ouvrages suivants conservent de l'intérêt :

C. K. Ingold - Structure and Mechanism in Organic Chemistry, Cornell Univ. Press, Ithaca (1953).
J. Hine, Physical Organic Chemistry, 2nd Edition, McGraw-Hill, New York (1962).
R. Breslow - Mécanismes des réactions organiques (Edisciences, - 1970).





0 commentaires:

Enregistrer un commentaire